Vers un écosystème bio breton : quand viticulture et élevage dialoguent

17/05/2025

Redécouvrir le potentiel de la Bretagne : du bocage aux rangs de vignes

Si la Bretagne n’a pas la notoriété de la Bourgogne ou du Bordelais pour ses vins, elle n’en est pas moins une terre de passions agricoles et d’initiatives bio. La région a longtemps été majoritairement tournée vers l’élevage, notamment bovin et porcin. Mais depuis une dizaine d’années, un nouveau souffle anime le terroir : des rangs de vignes réapparaissent sur les coteaux, et la vigne en quête d’authenticité redécouvre ce paysage de bocage longtemps dédié à l’herbe et à la pomme.

À l’heure où l’agriculture bretonne doit composer avec le dérèglement climatique, la recherche de sols vivants et les attentes citoyennes pour une alimentation plus saine, la rencontre entre la viticulture bio et l’élevage bio soulève une question passionnante : ne serait-il pas temps de réinventer un modèle agricole où ces deux activités s’enrichissent mutuellement ?

Viticulture et élevage bio en Bretagne : état des lieux

Un ancrage agricole historique, des secteurs en transition

  • L'élevage breton : la Bretagne est la première région d’élevage porcin et l’une des premières pour les bovins en France (Source : Chambre d’agriculture de Bretagne, 2022). Près de 16 000 exploitations d’élevage y cohabitent.
  • La viticulture renaissante : la vigne a presque disparu au fil des siècles avant de timidement revenir en bord de Loire, dans le Golfe du Morbihan ou encore sur la Presqu’île de Rhuys. On compte aujourd’hui une cinquantaine de domaines (Source : FranceAgriMer, 2023), souvent en bio ou biodynamie.
  • Un virage vers le bio : 24 % de la surface agricole utile bretonne était cultivée en bio en 2023 (Agence Bio), soit près du quart des terres ! L’élevage et, dans une moindre mesure, les jeunes domaines viticoles portent cette dynamique.

Des enjeux communs pour deux agricultures

  • La lutte contre l’appauvrissement des sols.
  • L’adaptation aux sécheresses et aux pluies plus intenses.
  • La préservation et la restauration de la biodiversité bocagère.
  • La nécessité de créer de la valeur ajoutée locale.

Face à ces enjeux, l’alliance vertueuse entre élevage et viticulture bio paraît non seulement cohérente, mais aussi stratégique pour revaloriser les terroirs bretons.

Les atouts concrets du rapprochement élevage-vigne en bio

Des apports agronomiques réciproques

  1. Le retour des animaux au cœur de la vigne : Le pâturage hivernal des brebis dans les rangs de vignes, déjà testé dans plusieurs domaines en France, permet :
    • d’entretenir les sols sans intervention mécanique excessive ;
    • d’apporter des matières organiques naturelles, via les déjections ;
    • de réguler l’enherbement, limitant le recours à la débroussailleuse, au glyphosate ou à d’autres herbicides.
    En Alsace ou en Languedoc, le gain pour la fertilité du sol a été mesuré : jusqu’à 25 % d’augmentation de la matière organique en 3 ans (Source : ITAB, 2022). En Bretagne, quelques pionniers commencent à s’y essayer, par exemple sur les rives du Blavet ou près de Redon.
  2. L’apport de compost "maison" : Les fumiers et lisiers issus de fermes d’élevage bio (riches en paille, non chargés en antibiotiques ni intrants chimiques) sont d’excellents amendements pour les jeunes vignes. Certains vignerons bretons bio récupèrent localement ces ressources, favorisant une économie circulaire de proximité.
  3. Les prairies semées et couverts végétaux : Après les vendanges, les prairies temporaires implantées sur des domaines viticoles permettent l’alimentation hivernale des animaux, enrichissant en retour le sol pour la vigne.

Pépinière de biodiversité

Mélanger élevage et viticulture, c’est aussi restaurer un équilibre naturel :

  • Les animaux contribuent à la dissémination de graines indigènes et favorisent la diversité floristique sous le rang.
  • Des oiseaux insectivores attirés par la mosaïque des milieux ruraux réduisent la pression des ravageurs de la vigne.
  • Haies bocagères, bandes enherbées laissent place à la petite faune (hérissons, chauve-souris, etc.), bénéfique à la vigne (Source : LPO Bretagne).

Des atouts économiques et sociaux pour les fermes bretonnes

  • Diversification des activités : Pour un jeune domaine viticole bio, collaborer avec un éleveur permet de mutualiser certains investissements (hangars, matériel, main d’œuvre) et de mieux valoriser les ressources du territoire.
  • Renforcement de la résilience : En cas d’aléas climatiques (gel, mildiou), diversifier ses productions agricoles (vin, fromage, viande, légumes) réduit la dépendance économique à une seule culture.
  • Création de filières courtes et solidaires : Les associations CUMA (coopératives d’utilisation de matériel) encouragent la mutualisation des pratiques, favorisant une dynamique de territoire, essentielle en Bretagne où la main d’œuvre et les terres sont parfois limitées.

Freins et opportunités : la réalité de terrain en Bretagne

Des freins culturels et techniques à surmonter

  • Spécialisation historique : La Bretagne s’est forgée une identité d’éleveurs. Le retour de la vigne demeure parfois regardé avec scepticisme, vu comme une "mode" par certains, ou une activité citadine.
  • Contraintes réglementaires : La codification stricte des cahiers des charges AOP/AOC en viticulture limite parfois l’introduction d’animaux dans les parcelles (périodes de pâturage, présence d’éventuelles maladies…).
  • Connaissances à acquérir : Éleveurs et vignerons n’ont pas toujours partagé les mêmes réseaux ni les mêmes formations. Or, réussir ces synergies suppose un dialogue de terrain.

Des pionniers et des coopérations naissantes

  • Exemple du domaine de La Ville Beron : Près de Vannes, ce domaine a ouvert ses rangs de vignes à des brebis Solognotes durant l’hiver 2022-2023. Résultat : réduction du coût d’entretien de l’enherbement, moins de passages mécaniques, et des sols mieux structurés (étude réalisée par la Chambre d’agriculture du Morbihan).
  • Des échanges de valorisation : Sur la commune de Saint-Nolff, un viticulteur bio travaille main dans la main avec un éleveur laitier bio : le fumier du troupeau est composté sur place et sert d’amendement, tandis que les drèches de pressurage (les résidus de la vinification) sont données aux animaux.
  • Inspirations d’ailleurs : Si le modèle du "vineyard grazing" est bien documenté en Nouvelle-Zélande et dans certaines régions méditerranéennes françaises (Languedoc, Vallée du Rhône – source : INRAE, 2021), la Bretagne commence tout juste à s’en emparer.

Ces tests locaux ouvrent la voie, mais chaque ferme doit adapter le modèle à sa parcelle, au climat océanique et aux attentes des marchés régionaux.

Zoom sur les bénéfices pour l’environnement et la qualité des produits

Sols vivants et limitation des intrants

L’intégration d’animaux dans la gestion viticole permet de revenir à des boucles naturelles et vivantes :

  • Diminution avérée du recours aux engrais azotés chimiques (source : ITAB, 2022).
  • Sol moins tassé, mieux structuré, richesse en micro-organismes conservée.
  • Renforcement des défenses naturelles de la vigne par la micro-diversité apportée.

Des analyses menées auprès de domaines bio dans le Morbihan montrent, après 2 ans de pâturage ovin, une résilience accrue face à la sécheresse et une meilleure rétention hydrique.

Qualité des vins et produits fermiers : l’argument du goût

Qui dit sol vivant, dit vin vivant ! Si le lien direct entre la présence d’animaux et la complexité aromatique des vins bretons doit encore être étudié à grande échelle, les vignerons observent souvent une vigoureuse expression du terroir : acidité mieux maîtrisée, maturité plus homogène, arômes floraux et délicats, preuve d’une vigne moins stressée.

Côté élevage, l’accès à une alimentation plus diversifiée (couvres-sols, drèches, prairies multiespèces) se ressent sur la composition du lait et de la viande, favorisant le goût, la texture et même la stabilité des fromages produits à la ferme.

  • En 2021, l’INRAE a démontré une augmentation de la biodiversité microbienne dans les fromages fermiers issus de cheptels pâturant sur vigne enherbée : un atout pour la palette aromatique et la conservation naturelle du produit !

Bénéfices pour la biodiversité rurale et le paysage breton

  • Préservation des haies et du bocage, véritables "couloirs de vie" pour oiseaux, insectes pollinisateurs et petits mammifères.
  • Retour en force des auxiliaires naturels, qui limitent la pression des maladies et réduisent ainsi le besoin de traitements même en agriculture bio.
  • Paysages diversifiés, plus résilients face aux coups de chaud ou aux précipitations extrêmes, enjeu crucial sous climat breton.

Perspectives, initiatives et pistes de synergie à développer

Idées concrètes pour une Bretagne bio plus forte :

  • Encourager les groupements d'agriculteurs pionniers :
    • Coorganiser des formations croisées (élevage, viticulture, agroécologie) à l’échelle de commune ou d’appellation.
    • Lancer des plateformes d’échange de ressources (paillage, compost, drèches…)
  • Soutenir la recherche et les expérimentations participatives :
    • Mettre en réseau les fermes pilotes pour documenter et évaluer l’impact du pâturage, des échanges de matières organiques, etc., grâce au soutien des Chambres d’agriculture ou d’organismes comme Agrobio35.
  • Communiquer ensemble :
    • Valoriser les produits issus de synergies élevage/vigne dans des circuits courts, avec une identification claire ("Vin et élevage du bocage breton", mention spéciale sur les étiquettes, portes ouvertes, etc.).

Des synergies qui dessinent le terroir breton de demain

L’alliance entre la viticulture et l’élevage bio n’est pas un fantasme d’agro-idéalistes, mais bien une piste de transformation très concrète. Elle s’enracine dans une tradition de fermes mixtes que la modernité avait éclipsée, et dont la vitalité retrouve naturellement sa place dans le contexte du bio et de l’agroécologie.

Les freins restent réels : habitudes, organisation, connaissances, investissement de temps. Mais la dynamique déjà lancée montre que, loin d’être concurrentes, ces activités peuvent au contraire s’enrichir et renforcer l’identité, la biodiversité et la résilience du terroir breton. Plus que jamais, redonner sa place à la diversité – des pratiques, des paysages, des saveurs – est sans doute le secret d’une Bretagne agricole durable… et gourmande.

Pour aller plus loin : l’actualité des groupes DEPHY Ferme, les expérimentations menées par l’ITAB sur l’élevage intégré en viticulture, ou encore les témoignages de vignerons et éleveurs bio bretons (retrouvés dans Agrobio Bretagne).

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