À la découverte des plus anciens domaines viticoles bio de Bretagne

09/10/2025

L’étonnant héritage viticole breton : remonter aux sources

S’il faut attendre la fin du XX siècle pour assister à la renaissance du vignoble breton, l’ancrage historique de la vigne en Bretagne, lui, remonte à bien plus loin. Les archives révèlent qu’il existait jusqu’à 3 000 hectares plantés sur la côte sud au XVII siècle, notamment autour de Nantes, Vannes ou encore Lorient (SOURCE : Vinisud). Chuté avec la crise du phylloxera, le vignoble disparaît quasiment au fil du temps.

L'actuelle vague néo-viticole débute au tout début des années 2000. Quelques passionnés décident alors de replanter de la vigne, motivés par la curiosité viticole, la démarche écologique, voire une envie d’atypisme gastronomique typiquement bretonne. Dès le départ, un petit nombre de ces nouveaux vignerons s’engagent sur la voie du biologique, souvent en parallèle d’autres activités agricoles locales comme le cidre ou le maraîchage.

Les premiers domaines viticoles bio bretons : qui sont les pionniers ?

En Bretagne, obtenir le statut officiel de "domaine viticole bio" a longtemps tenu du parcours du combattant. L’absence d’AOC, le climat venteux, les rendements capricieux : il fallait autant de passion que de persévérance. Voici les principaux acteurs historiques qui ont ouvert la voie :

  • Le Domaine de Kervoagen (Finistère) :
    • Semé en 1997 à Saint-Coulitz, le vignoble de Jean-Luc Poignonec est considéré comme le plus ancien des "nouveaux" vignobles bretons.
    • Certifié bio dès le début des années 2000 : la philosophie est ancrée dans le refus des intrants chimiques et la conviction que la vigne peut s’épanouir dans le climat frais du Finistère. Le domaine cultive notamment du Phoenix, cépage résistant naturellement aux maladies.
    • Petite production mais grosse reconnaissance : souvent cité comme référence lors d’études sur le renouveau viticole en Bretagne (notamment par l’INAO en 2015).
  • Le Domaine de la Belle Vallée (Morbihan) :
    • Installé depuis 2012 sur la commune de Séné, ce domaine associatif doit sa naissance à une quarantaine de passionnés défenseurs du patrimoine breton. Certification bio obtenue en 2017.
    • L’accent est mis sur la biodiversité locale : bandes enherbées, haies, herbes folles, volailles pour réduire les ravageurs, et cépages adaptés à la saline bretonne, dont Solaris et Regent.
    • L’équipe expérimente aussi la vinification sans soufre, dans une démarche la plus naturelle possible.
  • La Ferme de Kervran (Côtes-d’Armor) :
    • Vignerons pionniers du Trégor, Anne et Stéphane Le Parc plantent un premier hectare en 2015, certifié bio dès la 1 récolte. Leur modèle s’inspire de la polyculture traditionnelle.
    • Ici, la vigne partage son terroir avec les pommiers à cidre et les cultures de légumes, dans une logique d’équilibre et de résilience écologique.
  • Le Domaine du Mont d'Arrée (Finistère) :
    • La famille Penn amen a relancé leurs vignes sur les hauteurs de Commana autour de l’an 2010-2012, en suivant des principes bio dès l’origine.
    • La particularité ici : l’altitude (300 m, rare en Bretagne), la fraîcheur et le vent omniprésent, qui favorisent une culture saine malgré toute la rudesse du climat armoricain.

Notons aussi quelques autres projets : le vignoble associatif du « Raisin d’Armorique » près de Saint-Brieuc, certifié bio sur ses premières plantations, ou encore le Domaine de la Cascade à Plogastel-Saint-Germain, qui expérimente l’hybride bio depuis une petite dizaine d'années.

Qu’est-ce qui caractérise ces pionniers du bio breton ?

Des terroirs atypiques, des cépages résistants

Ces domaines cultivent dans des conditions qui sortent des standards classiques : sols schisteux, exposition au vent salin, faibles hauteurs, voire altitude modérée (cas du Mont d’Arrée). Pour résister au climat humide et parfois hostile de Bretagne, ils privilégient les cépages interspécifiques comme le Phoenix, le Solaris, le Regent ou le Johanniter, tous connus pour leur résistance naturelle au mildiou, à l’oïdium et à la pourriture grise. Un choix dicté par la volonté de limiter au maximum les traitements, même biologiques, et d’obtenir des vins à forte identité locale (“Vitisphere”).

Une philosophie partagée : respect du vivant et polyculture

  • Engagement dans la préservation de la biodiversité (implantation de haies, refuges à insectes, maintien des couverts végétaux).
  • Pratique fréquente de la polyculture : sur la majorité de ces domaines, la vigne cohabite avec le pommier, la céréale ou les légumes, selon une tradition paysanne revisitée.
  • Vinification artisanale et faible intervention, avec beaucoup d’essais pour garder l’expression brute et sincère du terroir.

Des productions encore confidentielles, mais en plein essor

Parler des plus anciens domaines bio bretons, c’est aussi évoquer la réalité de micro-productions. Aucun ne dépasse aujourd’hui les 5 hectares de vignes plantées – mais ensemble, ils participent à une dynamique globale. En 2022, on comptait moins de 40 hectares de vignes en production en Bretagne, tous statuts confondus, dont déjà plus de la moitié en conversion ou label bio (Le Monde).

Le parcours de certification et le défi breton : un engagement dès les premiers jours

Se lancer en bio en Bretagne n’a jamais été anodin : le label AB (Agriculture Biologique) impose trois ans de conversion minimum, la gestion des risques climatiques, et – spécificité régionale – la bataille administrative pour faire reconnaître certains cépages encore peu connus. Beaucoup de ces pionniers, souvent épaulés par des réseaux comme Inter Bio Bretagne ou le CIVAM Bretagne, ont opté pour la certification dès la première plantation, pour garantir leur engagement et rassurer les consommateurs curieux.

Ce positionnement fort a aussi contribué à donner une image “éthique” et innovante aux vins bretons, même si la demande a parfois dépassé la (petite) production. Tous partagent la conviction que la crédibilité du vin breton naît dans l’authenticité du bio, plus que dans la recherche d’une rentabilité immédiate.

Ancrer la tradition, inventer l’avenir : l’impact de ces vignerons sur le paysage breton

Ces domaines pionniers ont jeté les bases d’une nouvelle tradition – celle d’un vignoble à la fois résilient et ouvert à la modernité. Aujourd’hui, leur héritage inspire une nouvelle vague de néo-vignerons bretons, qui voient dans le bio un pilier de leur identité. Ils contribuent aussi à dynamiser d’autres filières locales : cidriculteurs, brasseurs, producteurs de baies et d’aromatiques multiplient les projets respectant les mêmes valeurs: démarche écologique, circuits courts, biodiversité.

Quelques chiffres révélateurs

  • Moins de 10 domaines bretons étaient certifiés bio avant 2015 ; en 2024, près des 2/3 des nouveaux projets viticoles bretons le sont ou tendent vers le label (France Bleu Bretagne).
  • Production annuelle : chaque domaine pionnier produit aujourd’hui entre 1 000 et 6 000 bouteilles selon les années, toutes cuvées confondues – contre… zéro il y a 25 ans !
  • Certains vins sont déjà primés : Le Domaine de Kervoagen a remporté la médaille d’or au concours régional Fest’Vini en 2021.

Pour aller plus loin : rencontres et dégustations en terres de pionniers

Sillonner les terroirs des domaines bio les plus anciens de Bretagne, c’est écouter des histoires de patience, de doutes et d’espoirs – mais aussi de soirées de vendanges festives sous les embruns, de dégustations au coin du pressoir, et de projets collectifs où chaque plante, chaque abeille, chaque gramme de sol vivant compte.

  • Visiter les domaines : Plusieurs de ces vignerons ouvrent désormais leurs portes à la belle saison : dégustations à la ferme, balades pédagogiques, ateliers d’assemblage.
  • Laisser parler les sens : Le vin breton bio, c’est souvent un nez fleuri d’ajonc, des notes de pomme acidulée, une bouche saline qui rappelle la proximité de l’océan, et la fraîcheur de la brise armoricaine, unique en France.
  • Participer à la dynamique : Beaucoup de ces initiatives fonctionnent sur la base d’associations, d’amap ou de sociétariats, ouverts à tous ceux qui souhaitent soutenir une agriculture bio et locale.

À suivre : l’avenir bio du vignoble breton

La Bretagne ne deviendra sans doute jamais un géant viticole à la bordelaise, et tant mieux : le parti pris du bio, adopté dès les premiers pionniers du renouveau, ancre désormais le vignoble régional dans sa singularité et son esprit d’innovation. Les plus anciens domaines viticoles bio bretons, leur ténacité, leurs vins sincères et atypiques sont la meilleure preuve que la Bretagne sait faire rimer terroir, plaisir et engagement. La prochaine étape ? La reconnaissance officielle d’une IGP ou d’une AOC régionale… et, qui sait, l’émergence de nouveaux crus qui viendront compléter ce beau paysage vivant et gourmand.

Santé ! Et que la découverte ne s’arrête jamais sur les terres bretonnes…

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