Du potager à la vigne : les leçons du maraîchage bio pour la viticulture bretonne

29/05/2025

Optimiser la vie du sol : le socle commun du bio

Le sol, c’est la matrice vivante de toute aventure agricole. Les maraîchers bio bretons le savent bien : un sol vivant, aéré, riche en micro-organismes et en matière organique, garantit un meilleur développement des plantes, une résistance accrue aux maladies, et des saveurs plus franches.

La matière organique au cœur des pratiques

  • Apports réguliers de compost : Quand les maraîchers épandent du compost mûr ou du fumier bien décomposé, ils nourrissent la vie microbienne, stimulent l’activité des vers de terre, et structurent le sol. Cette pratique, encore peu répandue dans certains jeunes vignobles bretons, pourrait pourtant changer la donne, surtout sur les sols lessivés ou sableux du Morbihan et du Finistère.
  • Utilisation de paillage : Le paillis (paille, foin, BRF - bois raméal fragmenté) limite l’érosion, retient l’humidité et freine la pousse des adventices. Plusieurs expérimentations, comme au Groupe de Recherche en Agriculture Biologique (GRAB) de Bretagne, ont montré l’intérêt de ces pratiques autant au potager qu’au vignoble, en réduisant jusqu’à 30% l’arrosage et en améliorant l’activité biologique du sol sur les rangs de vignes.
  • Non-labour ou travail superficiel : Beaucoup de maraîchers bretons pratiquent le non-labour pour préserver la structure du sol et la microfaune. Les pionniers de la jeune viticulture locale – comme le Domaine de Kersaint-Gilly à Sarzeau – testent actuellement cette approche sur certains rangs, avec une nette réduction du tassement et une remontée de l’activité des vers de terre.

Des couverts végétaux, ou l’art de l’interculture

Semer des couverts végétaux entre les rangs – trèfle, vesce, mélange de graminées et légumineuses – c’est une routine pour les maraîchers. Ces plantes jouent un triple rôle :

  • protéger le sol de l’érosion
  • fixer l’azote de l’air (merci les légumineuses !), propriété essentielle pour la vigne soumise à l’interdiction d’apports azotés minéraux en bio
  • stimuler la vie microbienne

En Bretagne, où les automnes sont pluvieux, ces couverts limitent efficacement le ruissellement. Certaines fermes maraîchères de la région du Trégor rapportent une baisse des pertes de terre jusqu’à 40% par rapport au sol nu (source : Chambre d’Agriculture de Bretagne, 2022).

Favoriser la biodiversité : un levier pour la santé du vignoble

La haie, la grande alliée du bio breton

Il suffit de marcher en bordure de champ pour le constater : en Bretagne, la haie bocagère, entretenue par les maraîchers bio, explose de vie. Refuge pour mésanges, coccinelles, chauves-souris… elle abrite aussi des alliés précieux pour lutter naturellement contre les ravageurs.

  • Les chiffres : Une haie de 100 m² héberge jusqu’à 300 espèces différentes (mammifères, insectes, oiseaux) et peut réduire de 60% la présence de pucerons et autres parasites du potager selon l’étude Terres de Breizh.
  • Quid de la vigne ? Beaucoup de vignerons en Brière et dans le Pays Nantais commencent seulement à réimplanter des haies en bordure de parcelle pour attirer les prédateurs naturels du ver de la grappe ou de l’eudémis. En s’inspirant du maraîchage local, la vigne bretonne gagnerait en autonomie sanitaire.

Bandes fleuries et hôtels à insectes : la biodiversité au rang de la vigne

Les bandes fleuries – ces rubans de fleurs semés entre cultures – attirent syrphes, abeilles, bourdons, auxiliaires pollinisateurs essentiels. Les maraîchers les utilisent pour augmenter la pollinisation et réduire le recours aux insecticides. Le programme INRAE Prairies Fleuries a montré que la diversité florale peut augmenter la présence de pollinisateurs jusqu’à 5 fois sur une exploitation bio.

Transposée à la vigne bretonne, cette pratique encourage la floraison spontanée sur l’inter-rang et pourrait augmenter la résilience face aux maladies liées au manque de pollinisateurs naturels.

Rotation et associations : la diversité contre la monoculture

En maraîchage bio, la rotation des cultures est un principe fondateur pour éviter l’épuisement des sols et la prolifération des maladies spécifiques. L’association de plantes aux fonctions complémentaires (oignons/ carottes, pois/ haricots) leur permet d’optimiser l’espace, l’apport de nutriments et de limiter la pression pathogène.

Peut-on adapter la rotation en viticulture ?

La vigne, culture pérenne, ne « tourne » pas comme la tomate ou le chou ! Pourtant, il existe des déclinaisons possibles :

  • Installer, à la plantation, plusieurs variétés de cépages résistants dans une même parcelle limite la propagation des maladies
  • Pratiquer l’agroforesterie : insérer des arbres fruitiers, des plants de petits fruits ou des haies fruitières dans et autour de la parcelle – une technique testée au Réseau Agroforesterie France
  • Alterner la vigne avec d’autres cultures pérennes sur certaines bandes non plantées (ex : luzerne, trèfle, fleurs vivaces)

Compagnonnage et associations végétales

Certaines expériences récentes menées en Loire-Atlantique (ex : Domaine Luneau-Papin) démontrent que cultiver des aromatiques (thym, origan, calendula) dans les inter-rangs de vigne diminue la population de nématodes nuisibles et stimule la biodiversité florale et faunistique. Ce type d’expériences, inspiré par les maraîchers, reste encore marginal en Bretagne, mais offre un potentiel d’innovation fort localement.

Gestes quotidiens écoresponsables : l’exemple du maraîchage breton

  • Gestion fine de l’eau : Les maraîchers bretons s’appuient sur une collecte d’eau de pluie, l’irrigation au goutte-à-goutte, les sondes de tensiométrie pour ajuster les besoins au plus juste. Avec des étés de plus en plus secs, la vigne bretonne gagnerait à s’inspirer de ces outils pour préserver les ressources hydriques.
  • Gestion des intrants naturels : Purins d’ortie, décoctions de prêle ou de consoude, argiles locales… Le maraîchage breton a redonné leurs lettres de noblesse à ces préparations. Leur usage pour stimuler la résistance des plants ou freiner le développement des maladies commence à peine à émerger côté vignoble, mais les études de l’ITAB rappellent leur efficacité en bio.
  • Compostage collectif et valorisation des déchets verts : En partageant infrastructures et expériences (composteurs de quartier, broyat de haie, etc.), les maraîchers renforcent l’économie circulaire. Ces initiatives locales pourraient vite intéresser les jeunes vignerons bio, toujours à la recherche de matière organique de qualité.

La place de l’humain et du collectif

Le maraîchage breton : un creuset d’expérimentation et de réseaux

Les maraîchers bio de Bretagne s’appuient sur un vaste maillage d’échanges : collectifs, AMAP, réseaux de recherche participative. Cette dynamique d’entraide (ex : CIVAM Bretagne), de partage de matériel ou de retours d’expériences, dope la vitalité du secteur et accélère l’innovation.

Pour la viticulture bretonne, qui se structure encore, multiplier les partenariats avec maraîchers, arboriculteurs, cidriers ou transformateurs de la bio, c’est accélérer la montée en compétences, mutualiser la gestion des infrastructures (pressoirs, stations de lavage, ateliers de compostage…), renforcer la résilience face aux aléas.

Esquisser le vignoble breton de demain

Imaginons un vignoble qui ne soit plus un îlot mono-spécifique mais qui vive en symbiose : vignes mêlées à des haies, fleurs, poireaux sauvages, ruches, arbres fruitiers et bandes de compost. Un vignoble qui n’oppose pas la tradition à l’innovation, mais qui s’inspire des savoir-faire du maraîchage bio – ces petites mains qui, sur le territoire breton, forment une avant-garde de l’agriculture responsable.

  • Se nourrir du collectif, créer la rencontre entre vignerons et maraîchers, c’est accélérer la transition face aux grands défis climatiques, économiques et écologiques.
  • Redéfinir la notion de terroir, c’est reconnaître que la vigne bretonne ne pousse pas dans le vide, mais au cœur d’un écosystème où chaque plante, chaque haie, chaque insecte comptent.

Des pistes pour inspirer, expérimenter et faire pousser non seulement des raisins mais aussi une nouvelle culture du goût et de la solidarité, bien ancrée dans la Bretagne bio et engagée.

Sources : Chambre d’Agriculture de Bretagne, Terres de Breizh, INRAE, Réseau Agroforesterie France, ITAB, GRAB Bretagne, CIVAM Bretagne, Agrobio Bretagne.

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