Les cépages bretons : secrets d’une viticulture bio en pleine effervescence

30/09/2025

La vigne en Bretagne : une histoire plus ancienne qu’on ne le croit…

Si l’on évoque souvent la Bretagne comme « terre de cidre », il ne faut pas oublier que la vigne y bourgeonnait déjà au Moyen-Âge, sur les rives du Morbihan ou du Trieux. Le vin breton nourrissait alors les abbayes et irrigua jusqu’à l’essor nantais, avant d’être emporté par la double vague du phylloxéra (fin XIX) puis de la réglementation qui exclut la Bretagne du paysage officiel du vin (voir INAO). Bien loin d’être un vignoble « artificiel », la Bretagne est donc une vieille terre de vigne…

  • Plus de 1500 hectares de vignes recensaient les abbés du Finistère en 1815 (source : Archives Départementales du Finistère) !
  • Le climat doux des côtes, le granit et le schiste, faisaient déjà d’excellents alliés pour la vigne à Belle-Île, Quimper, ou encore autour de Rennes.

Ce patrimoine, de nouveaux vignerons le ressuscitent, avec une conscience aiguë de l’écologie et du goût.

Les impératifs du bio : pourquoi le choix des cépages est crucial

La Bretagne n’est pas la Provence : il y pleut et souffle, et la vigne n’aime pas trop l’excès d’eau. En bio, interdiction d’avoir recours aux fongicides ou produits de synthèse, alors chaque cépage doit se montrer robuste, avoir un cycle adapté et un vrai potentiel aromatique.

  • Résistance aux maladies : l’oïdium, le mildiou et le botrytis sont la hantise du vigneron breton bio.
  • Maturité précoce : il faut des raisins capables de mûrir vite, car l’automne est souvent court.
  • Adaptation climatique : le vent, l’humidité, mais aussi les périodes de sécheresse estivale imposent leur loi.

Ces contraintes dessinent une carte des cépages où l’innovation croise la tradition… et où le bio devient un véritable laboratoire vivant.

Quels sont les cépages cultivés par les vignerons bio en Bretagne ?

Les cépages résistants dits “hybrides” : paysans, pionniers et biologiques

Dans la renaissance viticole bretonne, les cépages hybrides jouent un rôle majeur. Ces variétés sont issues de croisements, souvent entre Vitis vinifera (le raisin européen classique, base des grands vins) et d’autres espèces comme Vitis riparia ou Vitis labrusca, réputées pour leur résistance naturelle aux maladies.

  • Le Solaris : incontournable dans le Finistère et le Morbihan, ce cépage blanc d’origine allemande est extrêmement résistant au mildiou et propose des vins aromatiques évoquant le fruit blanc, l’ananas, les agrumes et parfois des accents exotiques.
  • Le Muscaris : proche cousin du Solaris, lui aussi venu d’Allemagne, il apporte des notes muscatées et florales, avec davantage de finesse en bouche. Parfait pour des blancs secs, légers et très digestes.
  • Souvignier Gris : apprécié pour la fraîcheur de son expression et sa résistance, il donne des vins à la robe pâle, aux arômes de fruits à chair blanche et une acidité cristalline bienvenue.
  • Cabernet Cortis : en rouge, cet hybride séduit par son potentiel à résister aux étés frais et aux maladies, tout en créant des vins ronds et structurés, avec des notes de fruits noirs, parfois de poivre blanc.
  • Cabernet Jura : présent chez quelques vignerons pionniers, il a l’avantage de supporter la fraîcheur et d’offrir des vins gourmands, assez légers, parfaitement adaptés à la légèreté recherchée dans le climat breton.

À ce jour, la plupart des vignerons bio de Bretagne travaillent en majorité ces hybrides dits “piwis” (du terme allemand “Pilzwiderstandsfähige Reben”, c’est-à-dire résistants aux champignons), car ils réduisent nettement le nombre de traitements, parfois limités à 2 passages/an de cuivre contre le mildiou (au lieu de 10-15 en conventionnel).

Source : Observatoire des Cépages Résistants / Union des Vignerons Piwis France

Les cépages traditionnels : un retour timide, mais symbolique

Certains vignerons bio testent aussi les classiques cépages bretons d’autrefois, même si la législation complique leur usage à grande échelle (la Bretagne n’a pas d’AOC ou d’IGP concernant le vin). Quelles variétés retrouver ?

  • Le Chenin Blanc : connu dans la Loire, il trouve en Bretagne des terrains propices et donne des blancs acidulés, parfaits pour magnifier les huîtres et fruits de mer.
  • Le Folle Blanche : déjà présente dans le pays nantais, on la retrouve parfois dans des essais confidentiels pour des blancs vifs, nerveux, idéaux sur l’iode.
  • Le Pinot Noir : en petites surfaces, pour des rouges très clairs et peu tanniques, tout en fraîcheur.
  • Le Gamay : plus rarement, il est tenté par certains passionnés d’expérimentation, donnant des rouges friands mais d’évolution rapide.

Il s’agit souvent de micro-parcelles, expérimentales ou à but pédagogique, car la Bretagne n’étant pas officiellement une région viticole, l’encépagement “classique” est encore peu développé hors circuits amateurs/associatifs.

Source : Les Vignes d’Armorique, Association du Vin Breton

Cépages locaux, oubliés … ou inventés ?

En Bretagne, l’aventure viticole bio voit également naître de nouveaux croisements réalisés localement, et une enquête patiente sur les cépages oubliés du terroir :

  • À Belle-Île ou dans les Côtes-d’Armor, certains plants retrouvés sur de vieilles parcelles (Noah, Othello, Clinton…) servent de base à des expérimentations, mais n’ont pour l’instant qu’un rôle patrimonial.
  • La recherche universitaire (Université de Rennes 1, projet “Renaissance Viticole Bretonne”) accompagne la création de cépages “bretons” hybrides : sélection sur la résistance, l’adaptation au sol, la capacité à exprimer une identité régionale.

Les premières vinifications issues de ces sélections sont encore rares, mais prometteuses pour l’avenir.

Petite carte de la diversité bretonne : où retrouver ces cépages ?

La Bretagne viticole bio n’est pas uniformément répartie. Chaque département développe ses propres projets, souvent connectés à des dynamiques locales ou collectives.

Département Principaux cépages cultivés Caractéristiques
Morbihan Solaris, Muscaris, Souvignier Gris, Cabernet Cortis Grand développement sur les presqu’îles (Vilaine, Rhuys), projets structurés comme “Domaine du Bois Moël”, vins blancs très frais, peu sulfités.
Finistère Solaris, Muscaris, expérimentation Chenin Projets insulaires (Ouessant, Île de Sein), focus sur le respect du vivant, vendanges manuelles, expression saline des vins.
Côtes-d’Armor Hybrides variés, Parcelles patrimoniales (Noah…) Collectifs citoyens, vocation associative/locale, recherches sur les anciennes vignes.
Ille-et-Vilaine Souvignier Gris, Muscaris, essais Pinot Noir Vignobles autour de Rennes, association “Vignerons Brétillien”, accent sur les rencontres pédagogiques et la biodiversité.

Source : France Bleu Breizh Izel, “La viticulture biologique en Bretagne”, 2023

À quoi ressemblent les vins issus de ces cépages bretons bio ?

Le vin breton bio, c’est avant tout la transparence, la fraîcheur, et la surprise. Les cépages hybrides, peu connus du grand public, dévoilent des profils très distincts des classiques français :

  • Blancs : très clairs, presque cristallins ; notes d’agrumes, de pomme verte, parfois de groseille blanche, relevées par une acidité saline marquée. Un vrai vent marin dans le verre !
  • Rouges : légers, fruités, plus sur la griotte ou la myrtille que sur la cerise noire ; peu de tanins, parfaits légèrement rafraîchis sur des poissons fumés ou des charcuteries bretonnes.
  • Effervescents : de nombreux projets de bulles sont en cours, avec des crémants nature, où la vivacité naturelle des cépages apporte beaucoup de peps.

On recherche toujours le faible taux d’alcool (rarement plus de 12°, souvent entre 9,5 et 11,5°) : idéal pour garder l’esprit convivial des apéritifs bretons, sans fatigue en fin de soirée !

Vers un avenir résolument breton : la montée en puissance de la biodiversité

Ce qui distingue vraiment la viticulture bio bretonne, c’est le pari collectif sur la diversité. Plutôt que de chercher à imiter Bordeaux ou la Loire, les vignerons bretons inventent :

  • Des parcelles plantées en mosaïque, avec jusqu’à 5 cépages différents côte à côte, pour encourager la complémentarité et la résilience écologique.
  • Un travail sur les vignes basses et des tailles douces (gobelet, cordon court), favorables à la limitation des maladies, adaptées au vent breton.
  • Aucune irrigation artificielle : la Bretagne mise sur la sélection naturelle et l’accompagnement du vivant, même dans les années de sécheresse.
  • Un engagement dans la préservation des haies, prairies et zones humides autour de la vigne, pour un vignoble qui fait aussi le bonheur des abeilles et chouettes !

En 2023, la Bretagne comptera plus de 60 hectares de vignes bio commerciales réparties chez une vingtaine de domaines et projets collectifs, avec une croissance annuelle à deux chiffres (source : Chambre Régionale d’Agriculture de Bretagne).

Pour finir : la Bretagne, territoire d’essais et d’avenir pour les cépages bio

La palette des cépages cultivés en bio dans les coteaux bretons n’a rien d’une mode passagère. Elle s’inscrit dans une vraie logique de terroir et de biodiversité. Les cépages hybrides modernes – Solaris, Muscaris, Souvignier Gris, Cabernet Cortis – donnent déjà naissance à des vins marqués par leur fraîcheur et leur singularité. D’autres variétés, patrimoniales ou inventées, trouveront peu à peu leur place, poussées par la passion des vignerons et la curiosité grandissante des amateurs.

Dans les années à venir, la Bretagne promet de devenir un laboratoire de la viticulture éco-responsable en climat océanique : diversité des cépages, authenticité des goûts, respect des cycles naturels. Pour le plaisir du verre… et la sauvegarde d’un patrimoine à redécouvrir !

Pour approfondir, voir : “Panorama des vignes résilientes”, Terre de Vins, Avril 2023 ; “La vigne renaît en Bretagne”, France 3 Bretagne, 2022 ; Observatoire régional de l’Agriculture Biologique de Bretagne.

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