Séchage en grange et viticulture bio en Bretagne : mythe ou chantier d’avenir ?

14/05/2025

Petite brise bretonne dans la viticulture bio : pourquoi parler de séchage en grange ?

On connaît la Bretagne pour ses embruns, ses paysages oscillant entre lande et vergers, et la vitalité de son agriculture bio. Mais la vigne y a refait surface depuis quelques années, portée par le réchauffement climatique et par une poignée de passionnés qui remettent le cep au cœur de la campagne armoricaine et des côtes d’Iroise.

Dans cette dynamique, une question, souvent réservée à l’univers du lait ou du foin, commence à fleurir dans les discussions vigneronnes : le séchage en grange a-t-il une place dans la viticulture bretonne, particulièrement quand on cherche à pratiquer un bio exigeant ?

Séchage en grange : une technique qui ne date pas d’hier

Avant de l’imaginer autour de la vigne, prenons un instant pour sentir l’histoire derrière le séchage en grange. À l’origine, c’est une pratique paysanne utilisée pour sécher le foin, l’herbe, voire certaines céréales. Elle consiste à récolter les fourrages encore riches en humidité puis à finir le séchage non plus au champ mais sous abri, grâce à une ventilation (naturelle ou mécanique). C’est un atout majeur quand la météo n’offre pas trois jours de soleil d’affilée – un scenario, tu en conviendras, assez courant par ici.

D’après un rapport de l’Institut de l’élevage (Idele), plus de 2500 fermes françaises étaient équipées d’installations de séchage en grange en 2023 (Idele). Côté vignoble, la technique est rarement associée aux baies de raisin… Mais dans les terroirs nordiques et humides, certains cherchent à s’en inspirer.

Pourquoi l’idée du séchage en grange émerge chez les vignerons bio bretons ?

La Bretagne affiche en moyenne annuellement selon Météo France, 120 à 170 jours de précipitations par an, contre 80 à 90 en région méditerranéenne. Un défi de taille pour la culture des vignes, surtout en bio, où minimiser les apports phytosanitaires et optimiser la qualité des intrants naturels (comme le compost, les paillages, les engrais verts) sont une priorité.

  • L’enjeu du paillage 100% local : Nombreux vignerons bios bretons cherchent à utiliser du foin (mulch) pour contrôler l’enherbement, nourrir le sol, retenir l’humidité et booster la vie microbienne. Or, du fourrage récolté sous la pluie perd de ses qualités : il peut fermenter, moisir, ou développer des parasites.
  • Compost et biodynamie : Les préparations utilisées en bio et biodynamie (comme les composts de bouse, les tisanes, etc.) requièrent parfois des herbes sèches de qualité, difficiles à obtenir sur champ sous climat humide.
  • Sécuriser les stocks en année difficile : Avec des printemps parfois très humides en Bretagne (ex : 2021, où les précipitations de mai dépassaient de plus de 50% la normale sur le Finistère – Météo France), impossible de faire sécher un foin utilisable pour les parcelles de vigne. Le séchage en grange s’annonce alors comme l’allié salvateur du vigneron.

Le séchage en grange : compatible avec la philosophie de la viticulture bio ?

Au premier abord, le séchage en grange coche beaucoup de cases de la bio : préservation de la ressource locale, amélioration de la qualité des intrants et réduction de la dépendance aux intrants extérieurs. Mais comme souvent en bio, le diable se cache dans les détails… Voici les principaux points à surveiller :

  • Énergie et bilan carbone :
    • Les modèles de séchage en grange les plus courants utilisent une ventilation électrique, et parfois la chaleur d’appoint via panneaux solaires, chaudière-bois, ou récupérations de chaleur.
    • Selon Terres Inovia, l’énergie nécessaire pour sécher une tonne de foin en grange oscille entre 200 et 400 kWh, soit l’équivalent de la consommation d’un congélateur domestique moyen pendant un an.
    • L’électricité est donc un vrai poste d’attention : il s’agit de privilégier autant que possible les installations pilotes en énergie renouvelable (panneaux, éolienne de ferme, biogaz…).
    • À noter : une étude menée sur le séchage de plantes en bio dans le Massif Central met en avant que l’impact carbone global du séchage en grange reste inférieur à l’importation d’intrants de foin bio d’autres régions (Bio à la Une).
  • Respect du cycle du sol :
    • Le foin bien séché limite l’apport de spores fongiques ou d’agents pathogènes, réduisant les risques de maladies de la vigne.
    • Le paillage de qualité structure les sols, favorise la vie du sol, et évite la compaction. Sur les vignobles bio, c’est une solution précieuse pour garder un sol vivant, sujet cher à la certification AB.
  • Impact sur la biodiversité :
    • La pratique du séchage en grange implique une gestion réfléchie de la ressource : on ne récolte ni trop tôt (pour ne pas tarir la floraison des prairies), ni trop tard (pour ne pas perdre en qualité d’herbe).
    • Les agriculteurs engagés en bio bretons privilégient souvent des prairies naturelles, riches en légumineuses, en apiacées et en graminees locales, pour maintenir une biodiversité maximum.
    • En Pays de Redon, certains groupements observent des prairies capables d’abriter jusqu’à 60 espèces végétales différentes par hectare (Chambre d’Agriculture Bretagne, mai 2023).

Des expériences de terrain en Bretagne et ailleurs

Même si la technique n’est pas encore systématisée dans les vignobles bretons, des agriculteurs multiplient les essais croisés. Voici quelques retours et chiffres clés :

  • Le domaine Les Longues Vignes, Morbihan :
    • Installé depuis 2020 sur le secteur de Questembert, il a choisi de valoriser une partie du foin des prairies en séchage en grange pour pailler ses jeunes ceps en conversion bio. Résultat : baisse de 30% des besoins annuels en paillage importé, une réduction nette des adventices, et un taux d’humidité du sol supérieur de 10% lors de l’été 2022, particulièrement aride.
  • Les Coteaux de la Vilaine, Ille-et-Vilaine :
    • En 2023, la coopérative a mutualisé un séchoir ventilé solaire pour sécher herbes et trèfles destinés à la fois à l’élevage et au vignoble (PleinChamp). Les résultats préliminaires affichent une hausse de la disponibilité de fourrage pour vignes de 25 à 40% par rapport à la méthode classique.
  • Le Coteau du Grand Pont, Loire-Atlantique :
    • Hors Bretagne certes, mais expérimentation intéressante en bio sur la façade atlantique : ici, la moitié de la surface enherbée entre les rangs de vignes est valorisée via séchage en grange, mélangeant trèfle, luzerne et ray-grass. Après deux ans, on note moins de maladies cryptogamiques sur les jeunes pieds (constat 2022-2023).

Freins, leviers et questions ouvertes pour la Bretagne viticole bio

Quelques défis restent à relever (et ils sont loin d’être des moindres) :

  1. L’investissement initial : Installer une grange de séchage adaptée représente un coût non négligeable, de l’ordre de 30 000 à 80 000 € pour une ferme diversifiée. Des aides existent, notamment du FEADER, mais le financement reste à consolider pour de petites exploitations viticoles.
  2. L’espace dédié : Un séchage optimal nécessite de la place : pour 30 à 50 tonnes de foin (une vingtaine d’hectares de vigne à pailler), environ 80 à 120 m² couverts et aérés.
  3. L’apprentissage technique : Maîtriser l’hygrométrie, la circulation d’air, la rotation des récoltes… Autant de gestes nouveaux pour des vignerons plus habitués à la taille du sarment qu’au retournement d’andains !
  4. La dimension collective : L’exploitation mutualisée des séchoirs, via des CUMA ou des groupements de producteurs, est une piste solide : partage de l’outil, réduction du coût, création de filières locales de paillage bio.
  5. L’adaptation réglementaire : Pour le moment, les cahiers des charges AB ne mentionnent pas explicitement le séchage en grange, mais l’esprit de la démarche « circuit court, intrant maîtrisé » est 100% compatible.

Le séchage en grange, vers une résilience du vignoble breton bio ?

Face au retour de la vigne en Bretagne et à la volonté de garder un pied ferme dans la bio, le séchage en grange apparaît comme l’une de ces solutions locales, concrètes et adaptables. Elle s’inscrit dans la logique “zéro gaspillage”, “sol vivant” et “circuit court” chère au bio.

Si l’enjeu énergétique doit inciter à la vigilance et à l’innovation par les renouvelables, les bénéfices sur la qualité des paillages et la vitalité des sols sont bien réels, notamment dans les années humides où toute récolte sèche relève du défi.

Dans les pas du cidre ou des légumineuses, la vigne bretonne bio s’invente un avenir singulier, fait de compromis réfléchis, d’essais, de tâtonnements et de succès discrets. Le séchage en grange : une technique du passé pour construire les terroirs de demain ? Affaire à suivre, au fil des bouteilles, côté ouest.

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