La viticulture bio en quête d’inspiration : quand l’élevage collaboratif trace la voie

07/06/2025

Pourquoi s’intéresser à l’élevage collaboratif quand on parle vin bio ?

L’élevage, qu’il soit bovin, ovin ou caprin, fait émerger depuis des décennies des formes de coopération paysanne : achat de matériel, mutualisation des terres, gestion collective des troupeaux, circuits courts… Ces systèmes, loin de se limiter à la production de viande ou de lait, constituent de véritables laboratoires de l’agriculture durable. Le secteur de la viticulture, et encore plus celui des « petits » vignobles émergents comme en Bretagne, partage les mêmes défis :

  • L’accès à la terre face à la pression foncière
  • Le besoin de limiter les investissements individuels souvent lourds
  • La nécessité de se soutenir face au changement climatique
  • La volonté de renforcer le lien direct entre producteurs et consommateurs

C’est une question de bon sens autant qu’une affaire de plaisir : une bouteille de vin bio, c’est un terroir, mais surtout une aventure humaine.

Les AMAP de viande : quelle source d’idées pour la filière vin ?

Les « AMAP » (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) sont nées dans le maraîchage, mais se sont rapidement ouvertes aux éleveurs. Près de 2 000 AMAP existent en France, environ un quart incluant viande, œufs ou produits laitiers (Réseau AMAP). Ces formules proposent :

  • Un engagement annuel des consommateurs sur une part de la production
  • Un prix garanti, équitable, fixé ensemble – loin des aléas du marché
  • Des rencontres régulières, qui restaurent la confiance et la convivialité

Certains domaines bio français ont déjà adapté ce modèle au vin, par exemple en proposant des « abonnements » à l’année ou la souscription de cuvées avant mise en bouteille (le “Vin en Primeur” revisité, version solidaire). Ce système offre de la trésorerie au vigneron et tisse une communauté fidèle autour du domaine.

Scop, CUMA et autres coopératives : la force de la mutualisation

Impossible de parler d’élevage collaboratif sans citer les CUMA – Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole. En Bretagne, il en existe près de 900, regroupant 20 000 agriculteurs (source : Fédération des CUMA de Bretagne). Elles permettent :

  • D’acquérir et d’entretenir collectivement tracteurs, semoirs, outils de fenaison, etc.
  • D’avoir accès à du matériel de pointe sans plomber la rentabilité individuelle
  • De limiter l’artificialisation des sols via le partage des ressources

Même stratégie pour les SCOP d’élevage (sociétés coopératives ouvrières de production), où les salariés sont aussi associés, favorisant implication et transmission à long terme.

Pour la viticulture bio, l’enjeu est majeur : le coût d’un chai, d’un pressoir ou d’un palissage neuf dépasse souvent les capacités des petites exploitations artisanales. Mutualiser l’atelier de vinification, la cave, une chaîne d’embouteillage, c’est investir localement et permettre à de jeunes vignerons, sans fortune, de s’installer. Si l’on regarde outre-Atlantique, le modèle des « Custom Crush Wineries » en Californie, où plusieurs domaines vinifient et élèvent ensemble, a montré son efficacité pour soutenir la diversité de la filière (source : Wine Spectator).

GIE, fermes collectives et Groupements Pastoraux : terres en commun, dynamiques partagées

Face à la flambée du prix du foncier agricole, les éleveurs se sont souvent regroupés : GIE (groupement d’intérêt économique), GAEC, ou Groupements Pastoraux dans la montagne basque et pyrénéenne. Exemple spectaculaire : le Larzac, 6 300 hectares, où plus de 12 000 brebis paissent sur des terres gérées collectivement par une vingtaine de familles (source : France Culture).

Ces expériences de “communs agricoles”, souvent nées d’initiatives citoyennes face à des menaces de spéculation foncière, pourraient inspirer des actions en vignoble, surtout dans des régions où le terrain viticole s’arrache à prix d’or (Poiré-sur-Vie, Loire-Atlantique, ou le Pays de Vannes en pleine vigueur).

  • Des sociétés foncières citoyennes achètent et louent les terres à des porteurs de projets bio
  • Des fermes collectives regroupant maraîchers, éleveurs et… vignerons expérimentent le partage de bâtiments et d’outils

Ce modèle favorise la biodiversité (haies, prairies, bandes enherbées) et dilue les risques entre plusieurs productions.

Les circuits courts et la transformation partagée : une synergie à inventer côté vin

Les éleveurs bio transforment sur place : d’un côté la fromagerie, de l’autre le labo de charcuterie, parfois la conserverie. Ces unités collectives de transformation permettent de regagner de la valeur ajoutée, de maîtriser l’empreinte environnementale et d’assurer la transparence au consommateur.

En vignoble, l’équivalent reste rare mais il existe : chais partagés, boutiques de producteurs, participation à des marchés communs. Sur la commune de Plessé (44), le collectif “Le Champ Commun” réunit déjà brasseries, meuneries et vignerons dans une offre mutualisée et directe au consommateur.

  • Mutualisation des coûts d’embouteillage, de stockage, voire des livraisons
  • Organisation de dégustations itinérantes ou de salons de vignerons indépendants avec d’autres producteurs fermiers
  • Paniers découverte associant vin, cidre, fromages fermiers ou pains bio

À la clé, une présence renforcée sur le territoire et l’assurance de faire découvrir la diversité des saveurs locales à toutes les saisons.

Quand l’élevage partage son savoir : formation, transmission et entraide

La Bretagne, terre d’élevage, cultive un sens marqué de la transmission : formations par les pairs, journées portes ouvertes collectives, parrainages entre jeunes génisses et vieux paysans... Les réseaux d’entraide comme la CIAP Bretagne (Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne) accompagnent les nouveaux venus à s’installer, via le portage, la formation, le parrainage.

Pour les néo-vignerons (et ils sont de plus en plus nombreux en Bretagne depuis la relance de la viticulture bio régionale — +30 % de surfaces entre 2018 et 2023, source : Observatoire Agriculture Biologique), la formation et l’entraide sont cruciales, tout comme le partage d’expérience sur la gestion du mildiou, les cépages résistants ou la biodiversité intra-parcellaire.

Inspiration à cueillir : une « école du vignoble bio breton », collective et ouverte, animée par et pour les praticiens du cru ?

L’esprit collaboratif : une culture fertile pour le vin de demain

À l’image d’une dégustation partagée sous les pommiers ou les peupliers, la réussite d’une viticulture bio collaborative repose sur trois piliers :

  1. La confiance — entre ceux qui cultivent et ceux qui savourent, ceux qui produisent et ceux qui soutiennent.
  2. L’innovation collective — tirer parti des expériences d’autres filières, adapter sans copier, oser inventer localement.
  3. La solidarité — mutualiser pour résister aux crises climatiques, économiques ou foncières qui n’ont jamais été aussi pressantes.

Du pâturage partagé à la cuve commune : l’élevage collaboratif, avec ses outils, ses valeurs, son sens du collectif, dessine déjà la trame d’un vignoble breton où la solidarité, le lien au terroir et le goût d’innover donnent tout son sens au vin bio. Le paysage viticole, à l’heure des transitions, ne demande qu’à s’enrichir de ces expérimentations. À l’image du marais salant et de la lande, il a besoin, plus que jamais, d’entraide et de créativité pour s’épanouir durablement.

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