Viticulture bio en Bretagne : un profil carbone à la loupe face aux autres trésors du terroir

10/06/2025

Terres bretonnes, terres engagées : comprendre les enjeux du carbone

La Bretagne, réputée pour ses paysages maritimes, son climat tonique et son patrimoine culinaire, se révèle aussi depuis quelques années sur la scène viticole. La production viticole bretonne, encore modeste en volume face à des piliers du terroir régional comme le cidre ou le lait, n’en est pas moins porteuse d’enjeux cruciaux : environnement, biodiversité, et surtout, empreinte carbone.

Mais que signifie vraiment « empreinte carbone » dans le contexte agricole ? L’empreinte carbone mesure la quantité totale de gaz à effet de serre (GES), en équivalent CO₂, émise tout au long du cycle de vie d’un produit : de la culture à la transformation, en passant par l’embouteillage, la distribution, et jusqu’au verre dégusté à votre table. En Bretagne, où la demande pour des produits bio et durables explose, s’intéresser à l’empreinte carbone des différentes filières prend aujourd’hui tout son sens.

Viticulture bio bretonne : état des lieux et spécificités

La vigne bretonne, longtemps disparue, connaît un nouvel essor, encouragé depuis 2016 par l’arrêté autorisant la plantation expérimentale de cépages adaptés au climat frais et venteux. L’essentiel des vignes actuelles étant cultivé en bio, la Bretagne s’offre un laboratoire grandeur nature pour observer le lien entre viticulture et environnement.

  • En 2023, on compte une vingtaine de domaines viticoles en activité sur les cinq départements bretons, dont plus de 90 % ont choisi la certification bio ou sont en conversion (source : Chambre d’Agriculture de Bretagne, 2023).
  • L’encépagement se concentre principalement sur des variétés résistantes aux maladies cryptogamiques, réduisant l’usage du cuivre et du soufre, deux intrants même autorisés en bio mais à l’impact environnemental notable (source : IFV, Institut Français de la Vigne et du Vin).

La production reste modeste, avec environ 60 à 80 hectares plantés (2023), ce qui limite mécaniquement son impact carbone régional comparé à d’autres cultures. Mais quel est réellement le profil carbone d’un hectare de vigne bio bretonne ?

Le profil carbone d’un hectare de vigne bio

  • Émissions directes : L’utilisation d’engins agricoles (tracteurs, pulvérisateurs) reste relativement faible en bio, car l’enherbement et le désherbage mécanique remplacent l’usage d’herbicides de synthèse, très énergivores en production conventionnelle.
  • Intrants : L’emploi d’intrants de synthèse (engrais azotés, fongicides chimiques) est interdit ou strictement limité, ce qui réduit fortement les émissions de N₂O, gaz à pouvoir réchauffant très élevé (source : ADEME, 2022).
  • Stockage de carbone : L’enherbement des sols, favorisé en bio, contribue à une meilleure séquestration du carbone dans le sol, mais cet avantage reste modeste à l’échelle d’un domaine.

Selon une étude du CIVB (Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux, 2017), la viticulture bio montre en moyenne une réduction de 30 % de l’empreinte carbone par bouteille produite par rapport à la conventionnelle, principalement grâce à la suppression des engrais azotés et à l’utilisation limitée de produits phytosanitaires.

En Bretagne, où la vigne est souvent conduite sur de petits domaines en polyculture, les pratiques manuelles et l’intégration à l’écosystème local peuvent même renforcer cette performance.

Cidre, lait, légumes bretons : comment se comparent les autres filières ?

Cidriculture et empreinte carbone

La Bretagne, premier producteur français de cidre (plus de 40 % du cidre français, source : Unicid), mise elle aussi sur la transition agroécologique. Les vergers bio, tout comme les vignes, pratiquent l’herbage, la fertilisation organique et la limitation des traitements.

  • La fabrication du cidre dégage en moyenne 250g à 400g de CO₂e / litre (source : Life Cycle Carbon footprint of Cider, University College Cork, 2018), un niveau inférieur au vin (environ 1 à 1,3 kg CO₂e/litre pour un vin conventionnel, source : ADEME 2017).
  • Le transport local et la vente directe, fréquents en Bretagne, permettent de minimiser les émissions liées à la distribution.
  • Le cidre bio bénéficie, comme le vin bio, d’un gain carbone grâce à l’évitement des engrais minéraux et à la préservation de la biodiversité dans les vergers.

Lait et produits laitiers bretons : un poids carbone plus lourd

Grande filière régionale, la production laitière est aussi l’une des plus questionnées en matière d’impact environnemental. Selon l’IDF (International Dairy Federation, 2019) :

  • Un litre de lait conventionnel français génère environ 1,1 kg de CO₂e.
  • L’élevage bio est légèrement mieux classé grâce à l’alimentation herbagère, mais l’émission de méthane propre à la digestion des ruminants reste un point noir (environ 80 % des émissions totales d’une ferme laitière).
  • Les pratiques agroécologiques, comme l’association élevage-vigne présente dans certains microdomaines bretons, peuvent mutualiser la séquestration carbone (prairies permanentes, haies bocagères).

Les légumes bretons : empreinte modérée, exception des serres chauffées

La Bretagne est un géant du légume frais (artichauts, choux-fleurs, tomates…), avec une empreinte carbone souvent jugée modérée pour la production de plein champ :

  • Un kilo d’artichaut, en production plein champ, c’est environ 0,2 kg de CO₂e (source : étude ADEME, 2017).
  • Les serres chauffées, utilisées pour la tomate primeur par exemple, font grimper le bilan à plus de 1,5 kg de CO₂e / kg de tomate (source : FranceAgrimer, 2020).
  • Les maraîchers bio évitent les fongicides et pesticides de synthèse, ce qui limite les émissions indirectes liées à la fabrication de ces produits.

Au final, les cultures de légumes bio ou de plein champ affichent en général l’empreinte la plus basse des productions bretonnes, devant la vigne et les vergers.

Quels sont les principaux leviers carbone de la viticulture bio ?

La viticulture, même en bio, conserve plusieurs « points chauds » d’émission carbone, mais ceux-ci diffèrent sensiblement du vin conventionnel :

  1. Le verre des bouteilles : Jusqu’à 40 % de l’empreinte totale provient de la fabrication et du transport des bouteilles en verre (source : Adelphe/ADEME, 2022). Les alternatives émergent : le vrac, la consigne, les bouteilles allégées.
  2. L’énergie utilisée au chai : Refroidissement des cuves, éclairage… L’électricité décarbonée (éolien, solaire) progresse, et certains domaines bretons investissent dans l’autonomie énergétique.
  3. Les déplacements : Vente directe, circuits courts et valorisation locale permettent de réduire les kilomètres parcourus, une force pour les petits domaines bretons.

Des innovations pointent : certains domaines testent la traction animale pour limiter les émissions de carburant, d’autres plantent des haies pour renforcer la séquestration de carbone et limiter l’érosion.

Des choix à la bretonne : quelles productions bio pour limiter le climat ?

Positionner la viticulture bio bretonne face aux autres filières, c’est donc réajuster quelques a priori :

  • Un vin bio breton émet en moyenne 0,7 à 1 kg CO₂e par bouteille, une performance proche voire supérieure à certains vins rouges bio du Val de Loire ou d’Alsace (source : ADEME, 2022).
  • Le cidre bio breton conserve l’avantage carbone, en raison notamment du stockage de carbone offert par les vergers, de l’absence de fermentation malolactique (phase très émissive en vinification) et du faible intrant énergétique.
  • Les légumes bretons (hors serres) restent les champions bas carbone, mais ne génèrent pas le même rayonnement en termes de valorisation du terroir.

Un point capital : le bio, quelle que soit la filière, affiche systématiquement une réduction d’empreinte carbone par rapport au conventionnel, de l’ordre de 20 à 40 % selon l’ADEME. Ce gain ne doit pas masquer la réalité : le transport, la transformation et la distribution (surtout sur longue distance) pèsent parfois presque autant que la phase agricole elle-même.

Sensations, climat et terroir : la bouteille bretonne à l’épreuve du carbone

Au fond, l’empreinte carbone d’un vin bio breton marque-t-elle une différence sensible dans votre verre ? Peut-être pas sur l’arôme, mais sûrement sur le sens donné à la dégustation. Préférer un vin bio d’un domaine costarmoricain, c’est soutenir une agriculture qui modèle le paysage local, fait vivre artisans et vignerons, et engage la Bretagne dans la grande aventure des filières plus vertueuses.

En Bretagne comme ailleurs, la réflexion du consommateur, du restaurateur ou du professionnel ne s’arrête pas à la couleur du vin ou à la méthode de culture. Penser carbone, c’est choisir, mais aussi soutenir l’ensemble d’un écosystème.

La filière viticole bretonne, encore minoritaire en volume, l’emporte-t-elle sur toutes les autres ? Pas tout à fait, si l’on considère la « carbon intensity » au litre bu — mais elle illustre la capacité d’un terroir à se réinventer, et à contribuer activement à la transition agricole bretonne.

En dégustant un vin, un cidre ou un fromage du cru, c’est un monde de paysages et de pratiques qui s’invite à table : à chacun, donc, le plaisir de soutenir l’aventure bas carbone à sa façon, verre à la main et curiosité éveillée, dans une Bretagne qui ne cesse de surprendre et d’inspirer.

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